Un art léger comme une portée de musique

Iwan Schumacher a filmé l'artiste bernois Markus Raetz, magicien du regard.

Les documentaristes suisses s'intéressent aux artistes suisses. Excellente chose! Après le film sur Joseph Josephsohn de Matthias Kälin & Laurin Merz, diffusé au Bio à Carouge et au Zinéma à Lausanne, ces deux salles mettent maintenant au programme Markus Raetz, d'Iwan Schumacher.

Artiste bernois, né en 1941, Raetz est un créateur d'envergure mais qui reste peu connu. Pourtant, ce qu'il propose est «un art amusant», comme lui-même le qualifie. Et, pour un cinéaste, ses réalisations sont une aubaine. Markus Raetz travaille en effet beaucoup sur le cinétique, sur la manière dont une chose peut se transformer en une autre, peut être regardée sous divers angles.

Iwan Schumacher s'est du reste calqué sur cette façon de voir, en interrogeant plusieurs proches - Monika, la femme de l'artiste, et Ad Petersen, ancien conservateur au Stedelijk Museum d'Amsterdam - sur la manière de travailler de Markus Raetz. L'artiste lui-même commente également sa démarche. «On crée parfois un objet [...] parce qu'il faut bien penser à quelque chose pour s'occuper la tête et les mains», dit-il, glissant ainsi modestement sur sa géniale capacité à bricoler, à transformer une ligne en objet dans l'espace. Il suffit de le voir tortiller une tige de métal pour être admiratif du visage sans cesse changeant qu'elle dessine, une fois suspendue en l'air.

De l'idée à la réalisation

De ses mains de magicien, Markus Raetz fait naître - même si c'est posément et lentement - de multiples sculptures ou installations. Et le cinéaste nous fait passer d'un mot qui s'inverse en son contraire à des spirales qui s'envolent comme des volutes de fumée ou à une réunion d'objets qui, vus sous un certain angle, permettent de visualiser la tête de Mickey. Le spectateur suit cependant parfaitement l'artiste dans sa pensée. D'autant que le cinéaste a su tirer un fil rouge: tout au long du film, on assiste, par séquences, à l'entière conception, de l'idée à la réalisation, d'une sculpture, Nach Man Ray (1995-2005), coulée en fer, dont les rotations suggèrent les ondulations d'un nu photographié par l'Américain. Comme le dit Ad Petersen: «Raetz est quelqu'un qui pousse la question de la perception le plus loin possible.» Sans jamais se départir d'une ironie et d'une poésie légères. «C'est comme une musique fragile devant un mur», ajoute Petersen à propos d'une frise qui s'étire comme une portée le long d'une paroi.

Markus Raetz, documentaire d'Iwan Schumacher. Au Bio, à Carouge/Genève, dès le 9 janvier. Au Zinéma, à Lausanne, à partir du 16 janvier. 1h15.

Philippe Mathonnet © Le Temps 8 janvier 2008